Hildur Guðnadóttir : portrait

Hildur Guðnadóttir

Pour ce dernier rendez-vous de la série Film Symphonic de la saison, nous vous proposons de (re)découvrir un blockbuster et non des moindres : Joker, un film de 2019, avec entre autres Joaquin Phoenix et Robert De Niro. La musique de ce film, que le Belgian National Orchestra interprétera en live sous la direction de Dirk Brossé, a été écrite par la compositrice Hildur Guðnadóttir. Sa bande originale de Joker lui a valu de nombreux prix : auréolée d’un Golden Globe, d’un BAFTA et d’un Grammy, l’artiste a aussi décroché l’Oscar de la meilleure bande originale. Portrait de cette compositrice islandaise atypique.

 

Hildur Guðnadóttir est née en 1982, à Reykjavik, en Islande. Son père était compositeur et clarinettiste, et sa mère chanteuse d’opéra. « Le choix d’étudier la musique s’est tout simplement imposé à moi, » a-t-elle expliqué dans une récente interview. « Dans ma famille, c’était la chose la plus naturelle au monde. J’ai commencé à jouer à l’âge de cinq ans et je n’ai jamais arrêté depuis lors. J’ai étudié le violoncelle et j’ai chanté dans des chœurs, avant de commencer à composer pour moi. Cela m’a permis d’aller plus loin dans l’introspection, et m’a donné l’occasion de nouer avec moi-même un dialogue à travers la musique. » Le choix du violoncelle lui a été involontairement dicté par sa mère : « Quand elle était enceinte, elle écoutait souvent la version de Jacqueline du Pré du concerto pour violoncelle d’Edward Elgar. Elle a dû me sentir bouger dans son ventre, car elle a décrété que je m’appellerais Hildur et que je serais violoncelliste. Et elle a vu juste. »

 

De l’Islande à Berlin

 

Pendant son adolescence, Hildur Guðnadóttir a commencé à jouer dans plusieurs groupes islandais. « Cet environnement m’a offert l’espace dont j’avais besoin pour m’essayer à une approche plus ludique et expérimentale de la musique, deux aspects qui m’ont toujours beaucoup tenu à cœur. À l’approche de la vingtaine, je me suis mis à fusionner ces éléments et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à trouver que ma musique avait du sens. » Cette prise de conscience l’a incitée à étudier la composition et les nouveaux médias, en Islande, mais aussi à Berlin – où elle vit toujours aujourd’hui. Après quelques expériences avec des instruments électroacoustiques, elle a signé quelques albums solos. Le premier, Mount A, est sorti en 2006 et le deuxième, Without Sinking, en 2009. « Ces compositions ont été pour moi l’occasion de me plonger vraiment dans l’introspection et de passer du temps seule avec un instrument, coupée du monde extérieur », poursuit Guðnadóttir. « Ma musique est surtout contemplative, et elle tend toujours d’une manière ou d’une autre vers une certaine noirceur. Mon dialogue intérieur en est apparemment empreint. »

 

L’œuvre solo d’Hildur Guðnadóttir efface la frontière entre la musique classique contemporaine et l’improvisation. « Improviser, c’est nouer un dialogue avec son instrument. Il faut improviser pour découvrir ce qui plaît à votre instrument et ce que vous pouvez construire ensemble sur cette base. Nombreuses de mes compositions sont nées de l’improvisation. » Elle travaille aussi beaucoup avec le « ómar », et s’est même associée à la création de cet instrument. « C’est un violoncelle à six cordes, avec une frette ; il rappelle donc davantage la viole de gambe. Il est possible d’y ajouter ou d’en retirer des éléments, car il est conçu de manière modulaire. Une sorte de violoncelle surround avec une puce de filtrage. Il n’a pas de caisse de résonance, mais il peut « activer », c’est-à-dire faire résonner d’autres objets.

 

Jóhann Jóhannsson et Hollywood

 

Hildur Guðnadóttir a collaboré à de nombreuses reprises avec le célèbre compositeur islandais Jóhann Jóhannsson, décédé en 2018. Elle joue en effet la partie violoncelle de quelques-unes des partitions de musique de film de son compatriote, comme Arrival de Dennis Villeneuve. Les deux Islandais ont aussi enregistré ensemble l’album End of Summer et ils ont co-écrit la bande originale du film Mary Magdalene (2018). À Berlin, ils ont même partagé un studio pendant quelque temps. « Nous avons fait connaissance en Islande, il y a 25 ans, et nous avons collaboré pendant environ 16 ans pour chacun de nos projets. Des liens étroits se sont ainsi tissés entre nous, un peu comme au sein d’une famille. Notre relation de travail fut intense et profonde. »

 

Hildur Guðnadóttir s’est fait connaître dans le monde entier en 2019 avec la bande originale de la minisérie HBO Chernobyl qui lui a permis de décrocher un Grammy. Quelques mois plus tard, Joker, dont elle avait aussi signé la musique, était présenté en première mondiale. C’est grâce à ce film qu’elle a ajouté un Oscar à ses nombreuses autres distinctions. Depuis lors, elle a conquis Hollywood et récemment signé la musique de Tár (avec Cate Blanchett dans le rôle principal), de Woman Talking et de A Haunting in Venice (de Kenneth Brannagh). La sortie de la suite de Joker – Folie à Deux – est prévue en 2024.

 

Joker, une partition couronnée par un Oscar

 

Contrairement à d’autres compositeurs de musique de film, Hildur Guðnadóttir s’implique toujours d’emblée dans le processus créatif ; sa musique n’est donc jamais purement descriptive. Il arrive même que son instrument inspire des scènes entières, comme la célèbre danse de la salle de bains, dans Joker. « Le script de cette scène était très sommaire : Joaquin Phoenix devait accourir dans la salle de bain, jeter son pistolet, contempler son reflet dans le miroir et proférer des jurons. Avant la prise, Joaquin Phoenix a avoué qu’il ne sentait pas du tout cette scène. Le réalisateur Todd Phillips a alors mis la musique que j’avais composée pour cette scène et lui a dit : "Écoute simplement la musique, ça t’inspirera". Joaquin s’est mis à danser. Ce fut un moment magique. »

 

Pour la bande originale de Joker, le réalisateur Todd Phillips avait spécifiquement demandé à Hildur Guðnadóttir de se mettre dans la peau du personnage principal, un homme gravement perturbé. « Arthur Fleck essaie simplement d’être gentil. Clown dans un hôpital, il veut redonner le sourire aux enfants malades, mais il n’y parvient pas, car, comme il est atteint de troubles mentaux, il ne peut s’empêcher de rire à des moments inopportuns. » Touchée par le rôle-titre et désireuse de mettre aussi en avant sa face tendre, Hildur Guðnadóttir a utilisé le violoncelle pour exprimer ses états d’âme. Elle a finalement composé un requiem mélancolique tout en douceur pour Arthur Fleck. « J’ai toujours essayé de conserver la première impression que la lecture du script m’avait laissée. Dès que les premières notes sont sorties de mon violoncelle, j’ai ressenti quelque chose de fort, quelque chose de très physique. Ça y est, j’y suis, me suis-je dit ! »

 

Alors que le violoncelle exprime l’humanité d’Arthur Fleck, l’orchestre fait entendre la folie qui s’empare progressivement de lui. « Au début, on n’entend pratiquement que le violoncelle, mais à mesure que l’intrigue avance, l’orchestre joue de plus en plus fort et étouffe le violoncelle. L’empathie que nous ressentons pour le personnage est portée par le violoncelle, tandis que l’orchestre symbolise la face sombre d’Arthur Fleck, sa folie qui d’abord assoupie en arrière-plan devient plus bruyante et finit par avaler le violoncelle tout entier », explique Hildur Guðnadóttir.

 

 

door Mien Bogaert

 © Daniel Müller

 

 

 

Joker

Le thriller psychologique Joker a sans aucun doute été l’un des films les plus mémorables de l’année 2019. Ce récit unique revenant sur les origines du personnage nous présente la transformation d’Arthur Fleck en super-vilain psychopathe terrorisant Gotham City… ce qui a de quoi séduire tant les amateurs que les détracteurs de l’univers de Batman. Une réussite que le film doit au jeu d’acteur incroyable de Joaquin Phoenix. Profondément humain, il incarne le personnage d’Arthur Fleck, un individu marginalisé qui sombre lentement mais sûrement dans le délire. L’une des principales causes de ce phénomène est l’arrêt de ses soins de santé, une mesure drastique de réduction des coûts. Les actions absurdes et nihilistes de l’ancien clown de clinique, qui ne peut contrôler son rire, deviennent bientôt l’inspiration de nombreuses protestations populaires - jusqu’à ce que tout devienne terriblement incontrôlable.

 

TH 25.04 | 20:00 | BOZAR

 

FILM SYMPHONIC: JOKER WITH DIRK BROSSÉ

Oscar-Winning Score

 

PROGRAMME

Hildur Guðnadóttir, music for Joker (with a live screening of the 2019 Todd Phillips movie)