Yibai Chen : « Ressentir la vie de Chostakovich »

À 22 ans, Yibai Chen a déjà remporté de nombreux prix internationaux. Le dernier en date est le Concours Reine Elisabeth en 2022, lors duquel il s'est vu décerner le deuxième prix. Le violoncelliste chinois a accepté de nous rencontrer pour nous parler de son amour pour la Belgique et de ses attentes pour les deux concerts qu'il donnera avec le Belgian National Orchestra la saison prochaine, le 21 octobre 2023 et le 21 juin 2024.


En 2022, vous avez remporté le 2ème prix du Concours Reine Elisabeth, ici en Belgique. Ensuite, vous êtes parti en tournée avec le Belgian National Orchestra pour 6 concerts à travers la Belgique. En janvier 2023, vous étiez de retour pour un concert à Arlon, et maintenant vous jouez à nouveau avec nous en octobre prochain et en juin 2024 à Bozar. Qu'est-ce qui vous pousse à revenir en Belgique ?

Je pense que la Belgique est fascinante, parce que je m'y sens tellement inspiré par les gens, par la nature, et par beaucoup d'autres choses, comme ma famille d'accueil. Mes parents d'accueil sont incroyablement gentils et m'ont laissé beaucoup de bonnes impressions et de bons souvenirs. Je les considère vraiment comme de "vrais parents". Je pense donc que je serai ravi de revenir en Belgique. 


Nous savons tous que les candidats éprouvent beaucoup de pression pendant le Concours. Cette expérience vous a-t-elle appris à gérer le stress et la pression ?

Oui, sans aucun doute. J'ai déjà participé à de grands concours et, à chaque fois, j'ai ressenti beaucoup de pression. Mais le Concours Reine Elisabeth a vraiment créé une atmosphère qui a permis à chaque candidat de se sentir aussi à l'aise que possible. Je n'ai pas ressenti de nervosité pendant le concours. Même sur scène, j'ai vraiment apprécié. Je ne dirais donc pas que ce concours m'a appris à gérer le stress, mais plutôt à vivre avec la pression, la nervosité et tous les sentiments négatifs, et à essayer de les transformer en énergie sur scène. C'est ce que le concours m'a appris. Et il m'a apporté beaucoup d'opportunités par la suite, en Belgique mais aussi dans le monde entier. Cela a beaucoup changé ma vie.


Qu'est-ce qui vous enthousiasme le plus à l'idée de revenir à Bozar et à Bruxelles avec le Belgian National Orchestra ?

Jouer le même concerto que j'ai joué lors de la finale du Concours Reine Elisabeth dans la même salle sera très spécial, et collaborer à nouveau avec le Belgian National Orchestra est bien sûr mon plus grand plaisir, parce que je pense que c’est l'un des meilleurs orchestres avec lesquels j'ai joué jusqu'à présent. Ses musiciens sont très énergiques, et ce que j'aime le plus, c'est que sur scène, je peux être flexible et faire ce que je veux. C'est très important pour un orchestre lorsqu'il joue avec un soliste. Dans un concerto, il est important de former une équipe, et les musiciens le font très bien. Je connais également certains des musiciens, comme Olsi Leka et Marc Sabbah, qui sont tous d'excellents solistes.


Le 21 octobre, vous jouerez à nouveau le Premier concerto pour violoncelle de Chostakovitch, qui est considéré comme l'une des œuvres les plus difficiles du répertoire pour violoncelle. Qu'est-ce que vous trouvez de particulier dans ce concerto ? 

Je pense que le mouvement le plus difficile et le plus particulier pour moi est le troisième mouvement : il s'agit d'une cadence totale, sans l'orchestre. C'est donc le moment où on peut parler par soi-même et être totalement seul pour ressentir la solitude. Ça donne aussi l’occasion de créer une sorte d'atmosphère et d’inviter tout le monde à ressentir la vie de Chostakovitch. Par ailleurs, tous les thèmes des autres mouvements se retrouvent dans ce mouvement. Le compositeur a écrit des variations sur ces thèmes, il les a mélangés, il les a fondus, et à la fin, tout devient complètement déjanté. Après cette folie totale, le quatrième mouvement commence par une "attacca", ce qui signifie que l'on joue sans s'arrêter et que l'on plonge directement dans le dernier mouvement. Le concerto entier contient toutes les émotions négatives que vous pouvez imaginer : dans d'autres concertos, vous avez au moins un peu d'espoir et des sentiments positifs, mais dans ce concerto, le désespoir est omniprésent. Et pourtant, il se termine sur un accord de mi bémol majeur, et je pense que Chostakovitch voulait nous dire qu'après toutes ces émotions négatives, nous finirons tous par revenir à un endroit plein d'espoir, à la paix. Je pense que c'est ce qu'il a voulu transmettre à travers cette musique.


Pourquoi les gens devraient-ils venir écouter cette version du concerto de Chostakovitch ?

Je pense que ce sera un moment très spécial pour tout le monde de vivre un peu le même scénario que mon épreuve finale au Concours Reine Elisabeth, et il sera intéressant de voir à quel point je me suis amélioré avec cette pièce. J'apporterai également un instrument différent cette fois-ci : un violoncelle fabriqué par Giuseppe Guadagnini, un nom célèbre, et un très bon luthier. Il s'agit également d'un orchestre différent, le BNO, et je pense qu'il est intéressant pour les gens de voir comment je collabore avec un autre orchestre et un autre chef d'orchestre [Hugh Wolff] sur la même œuvre.


Le 21 juin 2024, vous nous retrouverez pour le concert de la Fête de la musique, où vous interpréterez la première mondiale de Sehnsucht (qui signifie "désir" en allemand) du compositeur belge Piet Swerts, qui a également composé l'œuvre imposée pour le Concours Reine Elisabeth en 1993. Comment se prépare-t-on à une première mondiale ?

Je commence par essayer de comprendre le langage du compositeur, car la musique elle-même est une sorte de langage, et chaque compositeur a un style différent. Ensuite, je lis la partition et je joue quelques accords intéressants au piano. C'est ainsi que l'on comprend le type de sentiment que l'on recherche et comment le morceau sonne. Lorsqu’on joue ces accords au piano, on doit avoir l'impression d'être le compositeur lui-même, essayant d'écrire cette pièce. On ressent presque le chemin ou l'attitude qu'il avait à l'esprit lorsqu'il a composé le morceau. Une fois qu’on a appris la partition, l'étape suivante consiste à faire appel à sa propre imagination. Par exemple, le titre signifie "désir" – mais désir de quoi ? Je pense que c'est ainsi qu’on peut utiliser son imagination pour adapter le son à cette sorte de "vision de désir".


Qu’est-ce que ça vous fait de participer à la Fête de la Musique ?

Je suis très enthousiaste, car le public sera principalement composé de mélomanes simplement curieux. Je pense donc que c'est une très bonne occasion, parce que beaucoup de gens connaissent plus ou moins la musique classique, et je pense qu'il est important d’enseigner au public à écouter la musique contemporaine et à l'apprécier.


Comment décririez-vous le public de Bozar et de Belgique par rapport à ce que vous avez vu dans le monde entier ?

Le public belge est probablement le meilleur : lorsque je joue, je sens vraiment qu'il apprécie ma musique. Il ne se contente pas de critiquer mon jeu ; il essaye de saisir le moment unique que je crée sur scène, en tant qu’interprète. Et on ressent toute l'atmosphère qui se dégage de la musique. Ce n'est pas seulement "ils sont le public et je suis l'interprète", c'est plutôt comme si nous travaillions ensemble pour obtenir un beau résultat. Et surtout, après la représentation, le public belge est incroyablement enthousiaste et applaudit toujours chaleureusement, quoi qu'il arrive. Ma dernière prestation a été particulièrement mémorable, car ils m'ont fait une standing ovation. C'est un moment très, très spécial pour tout musicien, car c’est à ce moment qu’on voit à quel point le public a été touché par le musicien ou par sa musique, et il lui témoigne ainsi son respect.


Quel est votre objectif ou votre ambition la plus profonde en faisant de la musique ?

En tant que musicien, je veux créer un lien très personnel entre le public et le compositeur pendant la représentation. Je ne veux pas que les gens m'écoutent moi, mais je veux qu'ils écoutent le compositeur et qu'ils ressentent ce que la musique elle-même leur apporte. Je pense que c'est ce que nous devrions faire en tant qu'interprètes. C'est un peu notre mission. J'essaie toujours de me rappeler que nous devons respecter les idées des compositeurs, tout en conservant notre propre individualité. Je dirais que c'est comme un lien spirituel entre le public, le compositeur et nous.

 


Qui est Yibai Chen ?
  • Né en 2001 à Shanghai, en Chine.
  • Il a choisi le violoncelle après que sa mère, qui joue d'un instrument traditionnel chinois et qui est une grande fan de Yo-Yo Ma, lui a donné trois options : le piano, le violon et le violoncelle. Il voulait le son le plus profond, il a donc choisi le violoncelle.
  • Autre instrument qu'il aimerait apprendre : le piano.
  • Modèle et source d'inspiration : Yo-Yo Ma et son professeur Danjulo Ishizaka.
  • Compositeur préféré : Beethoven.
  • Le meilleur conseil qu'il ait reçu : "Ne jamais regarder en arrière".
  • Mots qu'il a appris avec ses parents d'accueil : "bonjour, bonsoir, bonne nuit, félicitations, à tout à l'heure"...

 

Info & tickets pour le concert du 21 octobre

 

Par Thomas Clarinval