Lucas Tavernier : « Être acteur face à un orchestre, c’est comme chevaucher un dragon »

Chaque année, Bozar et le Belgian National Orchestra organisent, juste avant les vacances de Noël, un spectacle à découvrir en famille. Pour cette édition 2023, leur choix s’est porté sur le célèbre ballet Casse-Noisette de Tchaïkovsky. Au moyen de ses dessins, l’illustrateur et animateur français Grégoire Pont donnera vie sur grand écran aux aventures de la petite Clara, tandis que l’histoire sera racontée de manière envoûtante par l’acteur Lucas Tavernier, qui nous accorde aujourd’hui une interview.

Vous êtes très connu en Flandre pour avoir joué dans des séries télévisées comme Thuis (Youri Lavrov), Zone Stad, Familie et Het verhaal van Vlaanderen. Mais étant polyglotte, vous travaillez aussi régulièrement au-delà des frontières de la Flandre. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Je ne viens pas d'une famille qui valorise particulièrement la culture sous toutes ses facettes. Avant de pouvoir me lancer dans une formation d’acteur, mes parents m’ont demandé de suivre de « vraies » études, de minimum quatre ans et de préférence à l’université. J’ai choisi les langues romanes, qui me semblaient un bon compromis. Dans le cadre du programme Erasmus, j’ai passé la majeure partie de ma dernière année d’études à Paris, où j’ai aussi suivi des cours de théâtre. Une fois mon diplôme de langues romanes en poche, je suis resté dans la capitale française pour y entamer des études d’acteur. D’abord parce qu’une fois qu’on a réussi l’examen d’entrée à Paris, on est sûr de pouvoir y terminer la formation, et peut-être aussi en guise de revanche par rapport à mes parents. Ce fut une expérience incroyable : après ma formation, j’ai décroché le rôle principal dans une pièce française classique, L’Aiglon d’Edmond Rostand, alors même que le français n’était pas ma langue maternelle. J’y ai vu une belle récompense de mon travail ! En Belgique, j’ai déjà joué au Théâtre Royal du Parc, au Théâtre Royal des Galeries ou encore à Villers-la-Ville. Et à l’étranger, j’ai participé à la production de films comme Monuments Men, Comandante, Subhuman et bien d’autres.

Êtes-vous un féru de musique classique ?

Musicalement, je me considère plutôt comme complètement ignare ! Mais je n’en ai pas moins une admiration et un respect sans limites pour les musiciens. Un bon ami à moi est premier alto à Paris et produit également de la musique classique. J’ai déjà travaillé plusieurs fois avec lui sur des spectacles où la musique classique et le texte se rencontrent. Ma première collaboration avec le Belgian National Orchestra en 2019, à l’occasion du concert de Noël La fille des neiges, déjà avec Grégoire Pont, a été une expérience extrêmement enrichissante. C'était un véritable honneur d'être aux côtés du chef d'orchestre, de la soprano et du ténor... C’était impressionnant de voir comme les chanteurs pouvaient faire vibrer toute la salle Henry Le Bœuf de leurs voix puissantes !

Comme pour La fille des neiges, il y aura deux représentations de Casse-Noisette réservées aux écoles. Quelle est la différence entre une représentation pour des écoles et une représentation pour des familles ?

Les représentations pour les écoles sont toujours plus bruyantes, car il y a beaucoup d’enfants dans la salle, encadrés seulement par quelques enseignants. Mais ce n’est pas quelque chose de négatif, au contraire. Je me souviens encore de ce que m’avait dit la soprano de La fille des neiges : « This is the best audience ever! ». Le bruit dans le public représente une forme d’appréciation : cela signifie que les spectateurs vivent le spectacle avec nous. Les chanteurs et musiciens ne peuvent pas modifier leurs notes et partitions, mais en tant qu’acteur, j’ai la possibilité de jouer mon rôle différemment en fonction du public. C’est un aspect passionnant de mon travail, surtout quand je suis face à des enfants. La musique ne doit faire l’objet d’aucune adaptation, car elle va directement de l’oreille vers le cœur. Les textes, en revanche, font un détour par le cerveau, le ratio, la compréhension. Et la compréhension d’un enfant de six ans n’a bien sûr rien à voir avec celle d’un adulte de trente-six ans. Il faut en tenir compte quand on raconte une histoire. Mais dans tous les cas, l’énergie que dégage un public, quel qu’il soit, est toujours magique.

Vous donnerez la première représentation en français (avec sous-titres en néerlandais), et la deuxième en néerlandais (avec sous-titres en français). On dit que notre personnalité change en fonction de la langue que l’on parle. C’est le cas pour vous ?

Je fais de mon mieux pour avoir la même basse continue pendant les deux représentations. Et ce n’est pas une mince affaire avec ces deux langues qui n’ont pas du tout le même rythme ! Je reste la même personne qui raconte l’histoire, mais chaque langue a sa propre respiration et ses propres limites. Et sa propre expressivité. Je parle plus avec les mains en italien qu'en allemand, par exemple. On ne verra jamais un Suédois se donner en spectacle. Par contre, la langue italienne est parfaite pour faire de l’esbroufe !

Comment se passe la collaboration avec Grégoire Pont ? 

Quand j’ai commencé à travailler sur le projet de La fille des neiges, je ne savais pas trop à quoi m’attendre par rapport aux « dessins en live » de Grégoire. Il était assis devant un ordinateur sur la scène, et un projecteur montrait ses illustrations sur un grand écran placé au-dessus de l’orchestre. J’ai découvert non seulement que ses dessins étaient magnifiques, mais aussi qu’il parvenait à respecter le rythme de la musique tout en dessinant. Je suis tellement fasciné par le travail de Grégoire que je dois faire attention à ne pas trop regarder ses dessins pendant le spectacle, au risque de perdre le fil de mon récit !

Est-ce impressionnant d’être placé si près d’un orchestre ?

Oui ! Agir avec un orchestre comme partenaire de jeu, c’est comme chevaucher un dragon... Un dragon à quatre-vingts têtes, qui tolère votre présence. Je me sens très privilégié, en tant que non-musicien, de pouvoir me tenir si près d’un orchestre. En effet, ce dragon virevolte, respire, vibre et rugit, et c’est tout bonnement époustouflant à vivre !

 

Par Mien Bogaert