La cheffe d’orchestre sino-américaine Xian Zhang est directrice musicale du New Jersey Symphony Orchestra depuis neuf saisons, une fonction qu’elle continuera d’occuper tout en relevant un nouveau défi à partir de la saison 2025-2026. Le Seattle Symphony Orchestra l’a en effet récemment nommée pour cinq ans en tant que nouvelle directrice musicale. Lauréate de plusieurs GRAMMY® et Emmy Awards, Xian Zhang devient ainsi la première femme et personne de couleur à diriger cet orchestre. Les 21 et 23 février 2025, elle sera de retour en Belgique pour une nouvelle collaboration avec le Belgian National Orchestra à Bozar. « C’est un programme fantastique », déclare Xian Zhang avec enthousiasme.
Quel est votre premier souvenir d’enfance lié à la musique classique ?
Je devais avoir environ trois ans. Nous avions à la maison un petit orgue à pédales. Ma mère l’actionnait avec son pied pendant que j’étais assise sur ses genoux en essayant d’appuyer sur les touches du clavier. Mes parents tenaient absolument à ce que j’apprenne à jouer du piano, mais dans les années 1970, c’était introuvable en Chine. C’était la fin de la Révolution culturelle, et presque tous les instruments occidentaux avaient été brûlés ou détruits. Mon père a alors décidé de me fabriquer un piano. J’ai été chanceuse d’être formée très jeune par mes propres parents.
À 11 ans, vous avez poursuivi vos études musicales au Conservatoire central de Musique à Pékin.
J’ai d’abord étudié le piano pendant plusieurs années avant de rencontrer ma première professeure de direction d’orchestre. La plupart des chefs commencent dans la vingtaine. J’avais 16 ans quand ma professeure m’a invitée à assister à ses répétitions. Elle dirigeait un chœur, et je jouais l’accompagnement au piano. Elle a remarqué que j’avais une très bonne oreille et une lecture à vue très rapide. Elle m’a appris les bases de la direction, avant que je n’intègre le cursus dédié. En troisième année, cette même professeure m’a offert l’opportunité de débuter comme cheffe d’orchestre avec l’orchestre du Central Opera House. J’avais 20 ans. Beaucoup de choses relèvent du hasard.
Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cheffe d’orchestre professionnelle ?
Je ne me suis jamais posé la question avant de participer au concours Maazel-Vilar de direction d’orchestre à Carnegie Hall en 2002. J’ai été l’une des deux gagnants ex æquo. Un journaliste m’a demandé : “Vous avez remporté le concours. Pensez-vous vous lancer dans cette carrière ?”. J’ai répondu : “Ce serait peut-être un peu tard pour ne pas continuer” (rires).
Avez-vous rencontré des difficultés dans votre parcours ?
Si une répétition ne se passe pas comme prévu, il faut analyser la situation et trouver des solutions pour l’améliorer. Toujours s’améliorer, c’est ça l’essentiel. Mais je pense qu’aujourd’hui nous vivons dans une meilleure époque pour les cheffes d’orchestres comme moi, étant une femme et venant d’Asie ; nous sommes considérées plus équitablement et sommes davantage jugées sur nos performances.
Existe-t-il encore un « double standard » pour les femmes de couleur dans le monde de la musique classique, néanmoins ?
Oh oui, et cela va bien au-delà de la direction d’orchestre. Je ne veux pas paraître pessimiste, c’est un fait historique. Cela prendra encore des siècles avant de disparaître complètement.
Dans ce contexte, vous considérez-vous comme un modèle pour d’autres femmes cheffes d’orchestre ?
Ça n’a jamais été un objectif personnel, mais malheureusement (ou heureusement), je suis un modèle. Peut-être parce que je suis précurseuse dans ce domaine. Et c’est une bonne chose. J’ai moi-même eu deux professeures qui ont étudié au Conservatoire de Moscou, et elles étaient mes modèles quand j’étais plus jeune. Si je peux à mon tour encourager la jeune génération, j’en suis heureuse.
En tant que cheffe d’orchestre, vous avez la direction de 80 musiciens entre vos mains. Cela demande beaucoup de rationalité, mais est-il aussi possible d’y laisser entrer un peu d’émotion et de fantaisie ? Une concentration intense combinée à un sourire béat ?
(Rires) La musique doit être émotionnelle. Sinon, elle est froide et vide. Il faut des formes, des émotions et la bonne couleur, tout ça à la fois. Pour moi, la direction d’orchestre doit être expressive pour bien accompagner la musique. Il faut ce quelque chose en plus, comme vous le dites : une certaine fantaisie ou une intensité supplémentaire pour atteindre un niveau supérieur.
Après toutes ces années, êtes-vous encore nerveuse avant un concert ? Ou êtes-vous plutôt zen ?
Il y a toujours une certaine tension. Quelques minutes avant un concert, je me concentre uniquement sur les défis que la musique apporte. Je veux que la musique et la partition me guident. Je suis un vecteur au service de la musique. Un chef d’orchestre est comme un réceptacle qui, avec l’orchestre, donne vie à la musique.
Pour conclure : que peut-on attendre des concerts à Bozar ?
Cela fait six ans depuis ma dernière collaboration avec le Belgian National Orchestra. C’est un orchestre très expressif. Cette fois, nous avons Mahler au programme, ça va être magnifique. Et la Cinquième Symphonie de Chostakovitch est une œuvre très puissante. C’est un programme fantastique !