Nikolaï Medtner : la virtuosité du piano en des temps troublés

medtner

Au fil des turbulences, le compositeur russe Nikolaï Medtner (1880-1951), contemporain et ami de Rachmaninov, est resté fidèle à la tradition occidentale classique et a signé des œuvres virtuoses profondément romantiques. Son titanesque Premier Concerto pour piano, composé pendant la Première Guerre mondiale, est l’une de ses œuvres majeures. Le samedi 20 avril, sous la direction d’Antony Hermus, le Belgian National Orchestra présente ce concerto, avec le soliste Florian Noack au piano. Ce concert sera également enregistré à la fin de la saison.   

 

Nikolaï Karlovitch Medtner – son nom de famille témoigne de lointains ancêtres allemands et danois originaires du Schleswig-Holstein (Allemagne) - est né à Moscou en 1879, la veille du Noël orthodoxe russe (le 5 janvier 1880 suivant le calendrier grégorien). C’est avec sa mère qu’il commence à étudier le piano. Des leçons qui ont porté leurs fruits puisque le jeune Medtner est admis au conservatoire de Moscou à l’âge de dix ans. Il a pour principal professeur Sergueï Taneïev, mais c’est de Rachmaninov et de Scriabine (à ses débuts) qu’il se sent le plus proche. Ces deux compositeurs ont d’ailleurs beaucoup influencé son style. À vingt ans, il quitte le conservatoire et remporte le prestigieux prix Anton Rubinstein. Medtner semble donc taillé pour une carrière de pianiste virtuose, conforme aux attentes familiales. Il décide pourtant de s’orienter vers la composition, sous le conseil de Taneïev, délaissant une carrière prometteuse de concertiste virtuose, comme celle de son ami Rachmaninov.

 

Peu de temps après la révolution d’Octobre de 1917, Medtner décide de quitter la Russie et de s’exiler. En 1924, après avoir passé quelques années à Berlin, il s’installe près de Paris, où le succès est au rendez-vous pour Stravinsky et Les Six. Le style conventionnel de Medtner ne convainc pas vraiment le public français, mais est très apprécié dans les pays anglo-saxons. À l’initiative de Rachmaninov, Medtner se lance ainsi dans une tournée de concerts aux États-Unis et au Canada. En 1935, il s’installe à Londres sur les conseils de ses amis, où il mène une existence paisible et s’impose une stricte discipline quotidienne – étude, cours et composition. Il a pour proche voisin le compositeur britannique York Bowen, dont les œuvres pour piano présentent de grandes similitudes avec son propre style. Les deux compositeurs doivent s’être fréquentés, même si aucune correspondance ne l’atteste.

 

Medtner sera profondément marqué par la Seconde Guerre mondiale. Comme ses œuvres avaient été précédemment publiées chez des éditeurs allemands, il voit sa principale source de revenus se tarir. En 1944, la maladie le contraint à abandonner sa carrière de concertiste. Ultime coup du sort, le blitz sur Londres qui le contraint à se réfugier dans le Warwickshire, où la pianiste Edna Iles, son élève – admiratrice inconditionnelle et promotrice de son talent – l’hébergera. 

 

À l’initiative du maharadja

 

Dans ce contexte, l’œuvre de Medtner aurait pu disparaître dans les oubliettes de l’histoire ; mais en 1946, un richissime admirateur en décide autrement. Jayachamaraja Wodeyar Bahadur, le maharadja de l’État indien du Mysore, crée la Medtner Society. Après avoir gravé entre 1923 et 1925 une série de rouleaux de piano pour Welte-Mignon et Duo-Art, Medtner peut à présent se lancer dans l’enregistrement de l’intégralité de son œuvre sur disques 78 tours. Le compositeur réalise un tour de force en enregistrant tous ses opus (au nombre de 61), sans que son jeu ne laisse entendre sa santé déclinante. Ces enregistrements sont encore aujourd’hui une référence pour les pianistes.     

 

Medtner meurt le 13 novembre 1951. Quelques années après son décès, le maharadja publie le recueil commémoratif Nicolas Medtner (1879-1951): A Tribute to his Art and Personality, sous la direction de Richard Holt. Cet ouvrage richement documenté réunit des souvenirs personnels du compositeur, des analyses fouillées de ses œuvres et de superbes portraits réalisés par M. Doboujinski. Les contributions sont signées des musicologues et critiques musicaux Ernest Newman et Gerald Abraham, du philosophe Ivan Iljin, du compositeur et organiste Marcel Dupré, de la chanteuse Oda Slobodkaja et du compositeur Kaikhosru Shapurji Sorabji, pour ne citer que leurs plus célèbres contributeurs.

 

Virtuose et titanesque

 

Le titanesque Concerto pour piano en do mineur, op.33, composé pendant la Première Guerre mondiale, est l’une des œuvres les plus abouties de Medtner. Il a dédié cette extraordinaire partition à sa mère. Il a travaillé pendant un an la partie piano, et l’orchestration lui prendra deux ans. Medtner ouvre son concerto en un seul mouvement sur une large exposition du matériau musical (allegro) ; les pages d’ouverture se caractérisent par un feu d’artifice pianistique sur un accompagnement orchestral électrisant. Au cœur de ce concerto, une série de variations (tranquillo, dolce) qui mènent à un finale (coda) doux-amer inattendu. La création a eu lieu le 12 mai 1918, sous la direction de Serge Koussevitzky, avec Medtner en personne au piano.   

 

Medtner est souvent considéré comme un compositeur cérébral, qui privilégie la complexité de la forme – contrepoint abouti, modulations agitées – à la mélodie, aux émotions et à la clarté. Il n’en est pas moins un génial inventeur de mélodies. Medtner a en effet composé ­une musique superbe et émouvante, comme son Premier Concerto pour piano en témoigne. Chez lui, des idées simples servent de base à un exercice intellectuel (mais certainement pas cérébral) d’élaboration du matériel thématique. Il laisse ainsi s’exprimer la « tête » et le « cœur ». L’exécution du Premier Concerto pour piano exige non seulement une grande intelligence musicale mais aussi une dextérité hors pair. Même s’il a dédaigné une carrière de pianiste virtuose, force est de constater qu’il maîtrisait l’instrument comme peu d’autres – chaque note en témoigne. Si on a tôt fait de l’associer à Rachmaninov et à Scriabine, des exemples qu’il admirait, Medtner reste un compositeur unique, tant sur le plan de la mélodie que de l’harmonie.    

par Johan Van Acker

 

Florian Noack

Par son amour de la littérature russe et ses études auprès du pianiste et compositeur Vassily Lobanov, le pianiste belge Florian Noack a développé une affinité naturelle avec l’héritage musical de ce pays. Ses années d’études avec Claudio Martinez-Mehner à la Musikhochschule de Bâle, ainsi que la découverte, lors de master classes à Prussia Cove (Cornouailles), de l’enseignement socratique de Ferenc Rados, ont été tout aussi formatives. Florian Noack a remporté de nombreux prix, tels que le Concours international Rachmaninov, le Concours international Robert Schumann et le Concours de piano international de Cologne. Il est l’invité des plus grands festivals et des salles de concert les plus prestigieuses. Il a enregistré six CD acclamés comprenant des répertoires sortant des sentiers battus, ainsi que ses propres transcriptions (pour piano). Florian Noack a enseigné à la Musikhochschule de Cologne. Il est aujourd’hui professeur au Conservatoire royal de Liège et se voit régulièrement confier des master classes.

 

SA 20.04 | 20:00 | BOZAR

 

TCHAIKOVSKY 5 & FLORIAN NOACK PLAYS MEDTNER

Fate Trying to Escape

 

PROGRAMME

Beethoven, Coriolan Overture

Medtner, Piano Concerto No. 1

Tchaikovsky, Symphony No. 5