À l’occasion de notre concert du 28 novembre, lors duquel nous interpréterons la Symphonie n°11 de Shostakovitch avec le célèbre violoncelliste Truls Mørk, Francis Maes vous plongera dans l’histoire de cette musique.
Shostakovich choisit la révolution manquée de 1905 comme thème pour son hommage au socialisme. Son attachement à cette période de l’histoire ne fait aucun doute : « J’aime cette période de l’histoire de notre patrie, qui a trouvé sa meilleure expression dans les chants révolutionnaires des travailleurs. » Il qualifia sa symphonie de représentation de l’âme du peuple préparant la voie au socialisme. Les chants révolutionnaires en forment le cœur, tant dans les citations que dans l’esprit de l’ensemble.
Le compositeur acheva la Symphonie n°11 le 4 août 1957. L’enthousiasme officiel fut si grand que la création dut se faire à Moscou, la capitale : celle-ci fut assurée par l’Orchestre symphonique d’État de l’URSS placé sous la direction de Natan Rakhline le 30 octobre de cette année. L’œuvre fut aussi bien accueillie par les organismes officiels que par le public et le compositeur reçut le prix Lénine en 1958.
Un mythe s’est développé autour de la réelle signification de la Symphonie n°11. Shostakovich ne l’aurait en fait pas conçue comme un hymne à la révolution de 1905, mais comme une protestation cachée contre l’intervention soviétique en Hongrie en 1956. Présentée par Testimony (1979) de Solomon Volkov, cette lecture dissidente a depuis fait le tour du monde. Il n’existe cependant pas de preuve tangible de cette interprétation divergente. Les interprètes ont obstinément tenté de montrer que Shostakovich considérait les chants révolutionnaires historiques de façon métaphorique.
Cette vision divergente souligne l’importance croissante des voix dissidentes sous Khrouchtchev ; la dissidence était en effet une espèce de sous-produit de la libéralisation prudente. Une fois les rênes relâchées, un espace apparaissait pour que les opposants puissent s’organiser et diffuser leurs idées. Ainsi, la légende du message secret contenu dans la Symphonie n°11 fait partie de l’histoire de l’œuvre. Cette aura de mystère et de secret fut déterminante pour son succès international. En comparaison, la Symphonie n°12, une œuvre similaire qui porte pour sa part sur la révolution de 1917, ne tient pas la route : elle ne porte rien d’une telle aura.
La tonalité personnelle et l’amour authentique du compositeur pour les chants historiques cités l’élèvent au-dessus d’une propagande directe.
Le témoignage de Shostakovich montre que la composition de la Symphonie n°11 fut plus que l’accomplissement d’un devoir officiel. Pour pouvoir évaluer ses qualités, il est préférable de la replacer dans le contexte des véritables œuvres cérémonielles qui la précédèrent. Shostakovich avait annoncé que l’œuvre ne serait pas une répétition du Chant des forêts. La tonalité personnelle et l’amour authentique du compositeur pour les chants historiques cités l’élèvent au-dessus d’une propagande directe. Le premier mouvement – un matin sur la place devant le Palais d’hiver avant l’affrontement sanglant du 9 janvier 1905 – est à juste titre considéré comme un poème sonore empreint d’atmosphère.