Hope and Despair - Saison 2023/2024

Hope and Despair

 

L’équilibre entre l’espoir et le désespoir est quelque chose de fondamental à la fois pour la société dans son ensemble et pour les humains en particulier. Être capable d’espérer et de désespérer nous différencie des machines qui nous entourent, des algorithmes qui influencent notre existence et de l’intelligence artificielle qui évolue constamment. Elle nous distingue également des autres êtres vivants. « Plus le degré de conscience augmente, plus l’intensité du désespoir s’accroît », a affirmé le philosophe danois Kierkegaard.

Grandir en tant qu’être humain, c’est «prendre conscience», ce qui signifie «apprendre progressivement à faire face à notre propre finitude». En retardant notre fin, nous avons déjà remporté de nombreux succès. Aujourd’hui, les gens vivent plus longtemps, trouvent des solutions à de nombreux problèmes médicaux et développent également des procédés pour transmettre l’aboutissement de leur vie – idées, matérialisées ou non – aux générations futures. Cela n’enlève rien à la tragédie que représente la perte, parfois bien trop précoce, d’êtres chers. Puis, lorsque les guerres éclatent et que les catastrophes naturelles surviennent, le train du progrès, après avoir pris de la vitesse, devient un triste cortège d’Echternach. L’espoir se transforme en désespoir et les certitudes disparaissent comme neige au soleil.

Dans ces moments-là, nous prenons conscience de notre extrême fragilité. Notre société de bienêtre relativement jeune, avec son attention pour les plus démunis, l’éducation, les soins et la culture, ancrée dans un contexte européen et soutenue par un système démocratique, est loin d’être un acquis permanent. Au contraire, il s’agit d’une construction hautement artificielle qui, précisément parce qu’elle s’écarte tellement de ce que l’on trouve dans la nature, court constamment le risque de se désintégrer. L’ordre tend vers le chaos, et seule la bonne volonté et l’engagement continu de toute une population peuvent soutenir un système comme le nôtre. Il faut garder espoir chaque jour et continuer à aller chercher ces valeurs exceptionnelles avec abandon.

Cette saison commence par une ode à Wim Henderickx, que nous avions sollicité comme compositeur en résidence, mais qui nous a quittés de manière inopinée et bien trop tôt. Nous ouvrons notre saison avec sa dernière grande oeuvre symphonique, Rejoice! (Hymn for New Times), une commande du Belgian National Orchestra autour du thème de la saison : «Hope and Despair». Une autre oeuvre que nous lui avions commandée, sa prochaine symphonie, n’a pas vu le jour de sorte que, en concertation avec le Klarafestival et Bozar, nous la remplaçons par Tejas, sa plus grande réalisation orchestrale. Merci Wim pour tant de chaleur et d’espoir.

La musique est une forme d’art exquise pour traiter de l’espoir et du désespoir que nous ressentons. Une tonalité mineure nous transporte dans un jour de bruine où la vie ne veut pas s’écouler, tandis qu’une tonalité majeure laisse le soleil percer les nuages. De nombreuses oeuvres musicales montrent comment sortir de l’obscurité pour entrer dans la lumière. La Cinquième symphonie de Beethoven, que le premier chef invité Roberto González-Monjas dirigera en décembre, en est le parfait exemple. Dans d’autres oeuvres, comme la Huitième symphonie de Shostakovich, qui se termine en douceur et que le chef d’orchestre principal Antony Hermus dirigera en octobre, c’est le désespoir qui a le dernier mot. La tradition symphonique a ceci de particulier que le résultat est toujours le fruit d’un long processus, durement acquis, impliquant des changements de rythme, de dynamique et de phrasé. Pouvoir vivre ce processus en tant que public dans une salle de concert avec des centaines d’autres spectateurs est pour beaucoup une source d’inspiration, un moment de connexion avec notre condition humaine, un encouragement à faire face et à relever tous les défis encore et encore avec énergie et espoir.

Plus d’une fois, la vie de Gustav Mahler a été marquée par un profond désespoir. Dans son oeuvre symphonique, cependant, il a sublimé sa souffrance de manière monumentale. En l’espace de deux ans, les trois institutions artistiques fédérales – le Belgian National Orchestra, Bozar et la Monnaie - interpréteront toutes les symphonies de Mahler. Le Belgian National Orchestra donnera le coup d’envoi de cette entreprise gigantesque en interprétant la Première symphonie sous la direction de Roberto González-Monjas. Plus loin dans la saison, Antony Hermus dirigera la titanesque Sixième Symphonie, que nous interpréterons avec l’orchestre de la Monnaie.

Après un festival Shostakovich et un festival Rachmaninov, nous proposons un festival Prokofiev sous la direction musicale de Stanislav Kochanovsky au début du mois de février 2024. Ce faisant, nous nous concentrons sur une période qui est généralement sous-exposée : les pérégrinations de Prokofiev en Europe et en Amérique entre 1918 et 1936. Outre le Deuxième concerto pour piano (avec Alexander Melnikov) et le Premier concerto pour violon (avec Veronika Eberle) du compositeur russe, les ballets qu’il a écrits pour Serge de Diaghilev à cette époque vous raviront sans nul doute. Lors du concert d’ouverture, nous interpréterons également quelques extraits de son opus magna, l’opéra Guerre et Paix, inspiré de Tolstoï et particulièrement pertinent de nos jours.

Avec le chef d’orchestre principal Antony Hermus, le premier chef invité Roberto González-Monjas et le chef associé Michael Schønwandt, nous avons déjà connu un vif succès l’année dernière. Cette saison vise à consolider leur relation avec l’orchestre. Par rapport à la saison dernière, où il était encore «chef d’orchestre désigné», Antony Hermus sera beaucoup plus présent. Outre de nombreux concerts réguliers, il dirigera également le Concert du Nouvel An et le Concours Reine Elisabeth. Avec Dirk Brossé et Frank Strobel, les curateurs de la série Film Symphonic, nous nous engageons également dans la voie de la durabilité.

En ce qui concerne les solistes, nous avons non seulement réussi à attirer plusieurs grands noms (comme le pianiste Leif Ove Andsnes pour le
concert d’ouverture, le violoniste Christian Tetzlaff pour le Concerto pour violon de Sibelius et la jeune star du violoncelle Yibai Chen), mais nous avons également lancé divers projets passionnants qui sortent des sentiers battus. L’un d’entre eux consiste à exhumer un répertoire moins connu, tel que le
Premier concerto pour piano de Nikolaï Medtner. Le pianiste belge Florian Noack ne se contentera pas d’interpréter cette oeuvre à Bozar ; il l’enregistrera également sur CD avec le Belgian National Orchestra.

L’espoir et le désespoir sont des sentiments intrinsèquement humains. La musique peut nous aider à mettre les choses en perspective, à digérer les événements tragiques et, là où le désespoir règne dans toute sa noirceur, à faire renaître l’espoir. Je vous souhaite une saison passionnante et pleine de nouvelles découvertes !


Hans Waege
intendant