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Annelies Van Parys: "Je perçois la musique comme une couleur orchestrale"

Interview

Annelies Van Parys est sans aucun doute l'une des compositrices les plus connues et les plus accomplies de Belgique. La saison 24-25 débute avec la première belge de Eco … del vuoto, un hommage à son défunt professeur Luc Brewaeys, écrit en 2019 à la demande de l’Orchestre royal du Concertgebouw. Dans cet entretien, Annelies Van Parys nous dévoile tout sur le son des cloches, les couleurs orchestrales et la réinvention des formes classiques.

Votre travail, ainsi que celui de Luc Brewaeys, est souvent associé à la musique spectrale, un courant musical né en France dans les années 1970, où le rôle du timbre est central. Comment vous situez-vous par rapport à cela ?

Enfant, j'étais fascinée par le son des cloches d'église. Le dimanche matin, je restais au lit en chantant avec les carillons et je construisais des mélodies qui s'intégraient dans ce tapis sonore. En fait, c'était déjà du spectralisme. Plus tard, j'ai découvert qu'il existait quelque chose appelé l'analyse du son. On y retrouve toujours la fondamentale, mais la couleur du son est déterminée par les harmoniques ­– d'autres fréquences qui vibrent avec elle. Si vous analysez le son d'une cloche, vous tomberez sur une composition étrange : quelque part, il y a une tierce mineure là où, acoustiquement, elle ne devrait pas se trouver. Dans mes premières compositions spectrales, j'ai essayé de reconstruire ce son de cloche, ce spectre, avec d'autres instruments. Cette construction utopique d'un son, dont naît quelque chose de complètement nouveau, s'appelle la synthèse instrumentale. J'ai continué sur cette voie dans mes compositions. À chaque nouvelle composition, je me dis que je vais faire quelque chose de différent, mais au final, je retourne toujours vers ce travail sur les sons de cloche. Ce que je trouve important, c'est que ma musique ne soit pas seulement "cérébrale" : le langage harmonique que j'essaie de développer doit aussi être ressenti humainement.

La musique spectrale se concentre principalement sur les couleurs sonores. Comment abordez-vous la dimension temporelle ?

Je transforme certains intervalles ou fréquences en motifs rythmiques ou en formes spécifiques. Dans mon travail, tous les paramètres sont toujours liés entre eux. C’est mon oreille qui décide si un certain rythme ou une certaine forme obtenue par transposition sont suffisamment intéressants pour être utilisés. Mais vous avez raison, la dimension temporelle n'est pas simple dans les compositions spectrales : un spectre nécessite du temps pour se développer, ce qui résulte souvent en une musique très lente. J'essaie donc de donner plus d’élan à la musique via différents moyens : des décalages, des modulations plus rapides...

Lorsque Luc Brewaeys est décédé après une longue lutte contre le cancer en 2015, il travaillait sur une commande pour l’Orchestre royal du Concertgebouw. Quelques années plus tard, on vous a demandé à vous, son élève la plus connue, d'intégrer les mesures qu'il avait déjà achevées dans une nouvelle œuvre. Était-ce un point de départ bienvenu ?

Ce n'était pas vraiment une obligation mais plutôt une proposition amicale. Et lorsque j'ai accepté, je ne savais pas encore ce que Luc avait composé. Il s'est avéré qu'il s'agissait d’une quarantaine de mesures, soit environ une minute et demie. Pour le reste, il n'y avait pratiquement rien, car Luc ne travaillait jamais avec des esquisses, il écrivait tout directement sur l'ordinateur. Heureusement, Birgit, sa femme, a trouvé le spectre qui était le point de départ de sa composition. J'ai travaillé d’arrache-pied afin de comprendre comment ce spectre avait été créé, mais je n'ai pas réussi à le découvrir, bien que j’aie deviné quelques motifs (étaient-ce là des sons de cloche ?). Assez tôt dans le processus, j'ai décidé de ne placer les mesures de Luc ni au début ni à la fin de la composition. Au lieu de cela, je leur ai offert une place d'honneur, environ aux deux tiers, en plein sur le nombre d’or !

La section qui précède les mesures de Luc est en fait un grand mouvement vers le matériau de Luc et elles symbolisent un long adieu
Annelies Van Parys

La saison 24-25 « Once upon a time... » est construite autour des histoires que racontent les compositions. Y a-t-il un récit sous-jacent dans Eco... del vuoto ? Et comment est né ce titre ?

La section qui précède les mesures de Luc est en fait un grand mouvement vers le matériau de Luc. Elles symbolisent un long adieu. Ensuite, vous entendez la citation de ses 40 mesures. Le passage suivant exprime le vide que Luc a laissé derrière lui. Dans ce vide, des échos résonnent : son spectre se « transforme » progressivement en mes sons de cloche. C'est aussi ce que signifie le titre. À l’origine, Luc avait à l’esprit un vers de Dante : « ... sciolto nel foro universale del vuoto ... » (... fondu dans le puits universel du vide...). On en entend maintenant l'écho, un écho du travail inachevé de Luc, un écho du vide, Eco... del vuoto.

Quel est votre processus de composition ? Écrivez-vous au piano ou...

Oh non, cela n'aurait pas beaucoup de sens. La moitié des notes que j'utilise ne s'y trouvent pas. Généralement, je perçois la musique comme une couleur orchestrale dans ma tête. J'essaie de la retranscrire. Toujours à la main, car m’asseoir devant un écran ne me convient pas. L'architecture d'une composition est aussi très importante. D'où part-on? Où va-t-on ? Le discours est-il cohérent ? L'arc est-il bien construit ? Je compare souvent la composition à la construction d'un pont : on souhaite atteindre l'autre côté sans se mouiller les pieds. La plus grande partie du travail, c’est la préparation. On doit trouver le bon matériau, et ce matériau doit pouvoir soutenir l'œuvre. Une fois que ce matériau est acquis, que la structure est claire et que les balises sont définies, je peux commencer à écrire. Et cela va généralement très vite.

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© Trui Hanoulle

La composition est-elle principalement une question d'inspiration ou plutôt un savoir-faire artisanal ?

Dans la phase initiale, lorsqu’on cherche le matériau et la structure, c'est surtout une question d'inspiration. En revanche, l’écriture effective a beaucoup à voir avec l'artisanat. Et bien sûr, il y a toujours des moments où la musique elle-même dicte la direction à prendre. Cela donne parfois des résultats très inattendus.

Ce n'est pas la première fois que le Belgian National Orchestra joue votre musique. En 2013, vous avez composé à notre demande la composition de 10 minutes Konzertstück, et en 2018 a eu lieu la première de A War Requiem.

C'est vrai ! Il y a quelques années, j'ai réentendu Konzertstück à la radio... il n'a été joué qu'une seule fois lors d'un concert de la Fête de la Musique, et c'était loin dans ma mémoire, si bien que je ne me suis pas rendu compte que j’écoutais ma propre composition. « Hé, c’est bien écrit », me suis-je dit. J’étais gênée ! (rires) Et oui, A War Requiem, en collaboration avec Collegium Vocale Gent, Sophie Karthäuser et Thomas Bauer, c'était un projet fantastique. Je me souviens que Hugh Wolff, le chef d'orchestre, voulait voir ma partition dès que possible. Une fois qu'il l'a eue en main, il était rassuré. Ce fut une très belle collaboration avec lui !

Je ne crois pas qu'il faille 'tout effacer et repartir de zéro'
Annelies Van Parys

Vous avez vous-même composé deux symphonies et il se trouve que Luc Brewaeys était également un symphoniste renommé. Quel regard portez-vous sur cette forme musicale aujourd'hui ? Pensez-vous écrire une troisième symphonie un jour ?

J'ai écrit mes première et deuxième symphonies car je souhaitais m'inscrire dans une certaine tradition. En tant que compositrice, j‘ai le sentiment de faire partie d'un ensemble plus vaste. Je ne crois pas qu’il faille 'tout effacer et repartir de zéro'. Non, nous faisons toutes et tous partie d'une certaine histoire et je veux poursuivre cette histoire. Quelle signification avait cette forme spécifique dans le passé ? Que puis-je en faire aujourd’hui ? Puis-je intégrer une histoire personnelle dans cette forme ? Je l’ai déjà fait deux fois avec la forme symphonique, et je n'exclus pas de le faire une troisième fois. Mais pour l’instant, je ne ressens pas le besoin d'explorer à nouveau cette forme. Cela dit, j'ai récemment expérimenté dans un concerto pour piano. Quoi qu'il en soit, j'aime toujours partir de formes classiques et voir comment je peux les 'corrompre' à ma façon.

Ecrit par Mien Bogaert

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ven.
13.09.2024
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Le Belgian National Orchestra et le pianiste Boris Giltburg ouvrent la nouvelle saison avec une première belge et des œuvres de Prokofiev et Strauss.

  • Antony Hermus, chef d'orchestre
  • Boris Giltburg, piano