Let's meet again! - Hartmut Haenchen

Le cycle Bruckner-Brahms


En 2018, Hartmut Haenchen, le chef d’orchestre allemand qui a longtemps été Directeur Musical du Nederlandse Opera, a entamé une collaboration avec le Belgian National Orchestra autour d’un ambitieux cycle Bruckner-Brahms. Après un an d’interruption, Hartmut Haenchen poursuit ce projet avec la Symphonie n° 3 de Bruckner et la Symphonie n° 3 de Brahms.



Pour Hans Waege, intendant de l’orchestre, Bruckner et Brahms sont des compositeurs du doute et de la remise en question, par opposition à des artistes très confiants, comme Beethoven et Wagner. Partagez-vous son analyse ?

Absolument, mais permettez-moi de souligner que les doutes de Brahms n’avaient rien à voir avec ceux de Bruckner. Brahms était en proie à des doutes intérieurs. Était-il encore possible de composer une nouvelle symphonie après la Neuvième de Beethoven ? Il lui a ainsi fallu pas moins de 20 ans pour accoucher de sa Symphonie n° 1 ! En revanche, Bruckner ne se mettait à douter de lui que lorsqu’un orchestre refusait d’exécuter son œuvre ou lorsque le feedback de ses « amis » était négatif. Le doute venait de l’extérieur et non de l’intérieur. Bruckner apporta ainsi des corrections à nombreuses de ses œuvres, d’où l’existence de plusieurs versions.


Une de vos missions, en tant que chef d’orchestre, est de sélectionner une de ces versions. Comment procédez-vous, par exemple pour la
Symphonie n° 3 Bruckner ?


Bruckner n’ayant nulle part recommandé de diriger d’autres versions de ses œuvres que la dernière, je pars du principe qu’elle était la préférée du compositeur. Il en va de même pour la Symphonie n° 3. Il n’empêche que, par exemple, la première version de cette symphonie est à certains égards particulièrement intéressante : l’ensemble est plus long, plus fougueux et atteint une dimension qu’on ne retrouvera que dans la Symphonie n° 8. Même si le caractère impétueux de la version initiale impressionne, artistiquement, la dernière version lui est néanmoins supérieure. L’autocritique quasi-constante a clairement porté ses fruits !


Brahms a composé sa Symphonie n° 3 à un autre stade de sa carrière que Bruckner…

C’est exact ! Et pourtant, les deux artistes avaient environ le même âge lorsqu’ils ont composé leur troisième symphonie. Brahms l’a écrite à l’âge de 50 ans, durant l’été 1883 – une pièce tardive pour celui qui n’a finalement composé que quatre symphonies. La Symphonie n° 3 se situe en revanche plus tôt dans la carrière de Bruckner, même s’il a en a composé une première version à l’âge de 49 ans. Connu pour avoir bonifié avec l’âge, Bruckner allait finalement signer neuf symphonies numérotées. Il travailla même à la dernière d’entre elles jusqu’à sa mort, en 1896.


Beaucoup a déjà été dit sur l’affrontement entre les partisans de Brahms et de Bruckner. Et si vous deviez choisir ?

Je trouve cette tension entre les deux compositeurs – qui n’avait rien de personnel – particulièrement intéressante. À la fin du 19e, à Vienne, un chef d’orchestre comme Hans Richter dirigeait par contre sans problème des œuvres des deux compositeurs. C’était l’une des rares personnes à avoir compris que Brahms et Bruckner était tous les deux des maîtres et qu’il n’y avait donc pas à choisir l’un ou l’autre. Malgré leur langage musical très différent, les deux compositeurs sont bien des enfants de la tradition romantique.


Les symphonies de Bruckner sont célèbres pour leur longueur. À une époque où tout s’accélère de plus en plus – songeons aux chansons qui ne dépassent plus 3 minutes, aux articles en ligne toujours plus succincts et aux émissions de divertissement-spectacle – n’ont-elles pas quelque chose d’anachronique ?

Regardons les choses en face : nous vivons à l’époque de la « Häppchenkultur » (culture populaire par petites bouchées), comme disent les Allemands. La musique de variétés a ouvert la voie et la musique classique suit souvent le même chemin. On perd beaucoup d’une symphonie de Bruckner ou de Brahms lorsque la radio n’en passe qu’un seul mouvement. La diffusion en ligne de concerts n’est pas non plus l’idéal : aller se boire un café ou prendre en même temps son diner… on est vite déconcentrés. Seule une salle de concert peut mettre en valeur comme elles le méritent des œuvres telles que les symphonies de Bruckner et Brahms : coupé un moment du monde extérieur, on peut vraiment pleinement se concentrer sur l’écoute. Et dans ce cas, la musique aura vraiment un incroyable impact.


Quels sont les avantages d’un projet pluriannuel comme le cycle Bruckner-Brahms ?

Se retrouver pour la toute première fois devant un nouvel orchestre demande énormément de travail. À mesure que la collaboration devient plus fréquente, tout devient plus facile et les possibilités sont toujours plus nombreuses. Les membres de l’orchestre commencent à découvrir votre langage corporel, ils savent où vous voulez aller et réagissent de manière plus adéquate. Un cycle comme celui-ci est un projet fantastique qui vous permet de construire vraiment beaucoup de choses avec l’orchestre. J’attends chaque fois avec impatience ce genre de concerts !