Let's meet again! - Thomas Adès

Compositeur en résidence

 

Le Belgian National Orchestra, BOZAR et la Monnaie/de Munt accueillent le pianiste, chef d’orchestre et compositeur britannique Thomas Adès en qualité de compositeur en résidence durant la saison 2021-22. Son premier opéra, Powder Her Face, créé en 1995, l’a fait connaître dans le monde entier. Depuis lors, les orchestres les plus célèbres lui ont commandé des oeuvres. Le Belgian National Orchestra présentera quant à lui son récent concerto pour piano, pour la première fois en Belgique. Il est temps de nous entretenir avec Thomas Adès.

 

Comment décririez-vous votre style musical ?
Je le qualifierais de mélodique, harmonieux et rythmique. Novateur également, du moins je l’espère. Et surtout varié – c’est sans doute sa principale caractéristique. Musicien moi-même – je joue et dirige des oeuvres allant de Beethoven au répertoire du 21e siècle – je dirais que je suis issu de la tradition classique. Ce qui m’intéresse ici surtout, c’est que l’histoire n’est jamais linéaire, elle se décline plutôt sous la forme d’une spirale ou d’un cercle. Le passé refait toujours surface, à chaque fois sous d’autres formes. Ma musique raconte ainsi toujours des histoires. Cela ne vaut pas uniquement pour mes opéras, mais aussi pour mes pièces pour orchestre.


Fin janvier, vous allez diriger, outre votre propre création, The Planets de Gustav Holst. Qu’est-ce que cela change pour un chef d’orchestre de diriger la partition d’un autre compositeur ?


Diriger une composition personnelle se fait de manière très naturelle, on sent les choses, car on connaît la musique sur le bout des doigts. Cela vient du plus profond de nous. Lorsque j’ai devant moi la partition d’un autre compositeur, j’essaie de m’approprier cette musique comme si je l’avais écrite moi-même. Aussi, pour donner alors le meilleur de moi-même, je dois vraiment me mettre dans les tripes de ce compositeur.


Fin janvier, vous allez diriger votre nouveau concerto pour piano. Ce n’est pas votre première pièce pour piano et orchestre…


Exact, In Seven Days, une pièce que j’ai créée en 2008, s’apparente aussi à un concerto pour piano, sauf qu’elle est accompagnée d’images vidéo et qu’elle m’a été inspirée par le récit de la création. Le Concerto Conciso, une composition pour piano et ensemble que j’ai écrite en 1997 est aussi à mes yeux un petit concerto pour piano.


Le pianiste Kirill Gerstein, qu’on retrouvera aussi avec vous en Belgique pour la partie soliste, a-t-il influencé votre processus créatif ?

Quand j’ai appris qu’il jouerait le concerto pour piano, je me suis vraiment senti tout à fait libre de composer ce que je voulais vraiment. Je n’ai pas d’inquiétude quant à ce qu’il peut faire : il sait tout faire. Kirill Gerstein est un musicien brillant. Il n’est pas seulement incroyablement talentueux, il comprend parfaitement la musique qu’il interprète. Il ne m’a pas déçu !


Vous allez également diriger une Inferno-suite. Quelle est l’origine de cette suite ?

J’ai composé pour le compte du Los Angeles Philharmonic et du Royal Opera House un Dante-ballet en trois volets, inspiré de La divina commedia. La première partie, Inferno, a été créée en 2019. Vu la prolongation de la crise sanitaire, Purgatorio et Paradiso ne seront joués qu’au cours de la prochaine saison. La musique de ce ballet est une ode à Franz Liszt. Le Dante-ballet s’apparente aux pièces de Liszt de la même façon que la Pulcinella de Stravinsky fait songer à la musique de Pergolesi. J’ai déjà présenté une Inferno-suite à Rome – une pièce orchestrale reprenant quelques passages clés du ballet. Vous pourrez aussi la découvrir à Bruxelles. Avec bien sûr aussi une des dernières parties, The Thieves, particulièrement fougueuse et inspirée par la virtuosité démoniaque de Liszt !


La musique de ballet suit-elle d’autres règles que la musique concertante ?

Les danseurs doivent bouger sur votre musique et cela change bien évidemment la donne. La répétition devient une des clés de la partition, ce qui ouvre d’énormes possibilités. La musique de ballet doit aussi toujours créer la bonne atmosphère, elle doit pouvoir vous transporter ailleurs… Elle est plus scénique, plus narrative, parle davantage à l’imagination.


Votre concerto pour piano a déjà été joué un peu partout dans le monde. Que pensez-vous de ces différentes interprétations ? Faut-il en retenir une en particulier ?

Il est clair qu’un orchestre n’est pas l’autre : la façon dont les instruments à vent donnent la réplique aux cordes, la nature précise du dialogue avec les percussions… Ces nuances sont bien trop riches pour qu’on puisse les traduire avec des mots. Les orchestres américains sont incroyablement brillants, d’autres misent sur l’expressivité. J’ai bien sûr mes préférences, mais pour le reste, je suis vraiment capable d’apprécier les différentes façons dont mes compositions sont interprétées.


Nous vivons des temps de grande incertitude. La crise sanitaire, la crise climatique, la succession de crises politiques… Êtes-vous de ceux qui mettent la musique au service de leur engagement social ?

Les thèmes sociaux m’interpellent naturellement. Mais si je devais décider un jour de vraiment me battre pour quelque chose, je ne pense pas que je choisirais un concerto pour piano. Ce n’est pas l’outil approprié selon moi. Beethoven était un homme très engagé. Pourtant, il est extrêmement difficile de faire le lien entre sa musique et ses convictions politiques. Si Beethoven avait concrètement fait référence à la politique du début du 18e siècle dans son œuvre, il présenterait beaucoup moins d’intérêt pour nous. Prenons l’exemple de sa Neuvième : cette symphonie véhicule un idéal d’humanité totalement unie, de fraternité universelle. La force de ce symbole, c’est que tout reste ici abstrait. Les passions du quotidien imprègnent bien sûr les œuvres que l’on compose, mais jamais de manière aussi concrète.